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Le blog du fourneau
21 mars 2024

« L’opposé de la blancheur »

MIANO Léonora

(Seuil)

 

Les quelques rares rencontres du vieux Lecteur avec Léonora Miano l’ont par le passé contraint à d’intenses et fructueuses réflexions puis contraint à certaines remises en cause d’un mode de pensée gravé en lui par le système social dans lequel il naquit et au sein duquel il aura vécu les nonante et deux années de son parcours. L’opposé de la blancheur, bouquin qui n’appartient pas au domaine strictement littéraire, l’a bousculé sans qu’il sache au moment où il rédige cette note ce que seront les conséquences de ce qui est comparable chez lui à une perte d’équilibre.

« La blanchité – sans être à l’origine du mal, sans avoir l’exclusivité de la violence et de la prédation, travers bien partagés entre les humains – reste un des traits saillants de la face sombre de l’Occident. Elle est la manière dont le trouble qui s’empara de la conscience européenne dès la fin du 15° siècle choisit de se donner à lire sur les corps de ceux qui se disent Blancs, afin de les séparer des autres. Si elle n’est pas coupable de tous les crimes commis par l’humanité, le fait d’avoir reconfiguré le monde, d’avoir partout imprimé sa marque et de s’être fondée sur le racisme la singularise. »

Le vieux Lecteur est un enfant de la République française. Il fut nourri des légendes frelatées qui chantaient la gloire de l’Empire colonial (dont témoignaient dans les salles de classe de l’école primaire les cartes murales, lesquelles donnaient à voir, entre autres, l’AEF et l’AOF ainsi que l’Algérie et ses trois départements). Heureusement pour lui, lors de son adolescence, il eut la chance de croiser des gens qui lui firent lire des œuvres dont le contenu lui permirent de se délivrer de quelques-uns des préjugés que d’autres avaient voulu graver à toujours en lui. La découverte d’Aimé Césaire, puis celle de Frantz Fanon, tout particulièrement.

A la toute fin de sa vie, le choc provoqué par la lecture de L’opposé de la blancheur s’en vient fissurer les dernières fondations de l’édifice idéologique érigé par ceux qui incarnaient voilà soixante-dix ans de cela la prétendue légitimité républicaine. Le vieux Lecteur n’est plus l’enfant d’autrefois, l’enfant témoin à l’insu de son plein gré des guerres d’émancipation des peuples colonisés. Il a conscience que les crimes perpétrés tout au long des cinq siècles qui furent ceux de l’entreprise esclavagiste puis du colonialisme restent impunis et se prolongent en ce nouveau siècle sous des formes qui répondent aux exigences que camouflent sous de vertueux oripeaux les Maîtres des sociétés occidentales.

« De nos jours encore, dans les pays occidentaux, la blanchité, en tant qu’instance du pouvoir, jouit d’une domination absolue, puisqu’aucun aspect de la vie sociale ne lui échappe et qu’il lui est possible de continuer à se déployer sans que ses agents en aient conscience. La gratification raciale est si totale qu’elle n’apparaît qu’à ceux qui en sont privés, ses bénéficiaires ne voyant pas la plupart du temps, de quoi on leur parle. »

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